L'écriture cursive, une écriture sous-estimée

langue française écriture éducation Aug 25, 2023
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Malaimée ou malmenée culturellement, l’écriture cursive (en lettres attachées) est souvent perçue comme un art qui s’est dissipé dans l’ère numérique. L’attrait d’une personne ayant une vitesse d’écriture rapide, régulière et lisible n’est plus un gage d’emplois commerciaux et administratifs comme au XIXe siècle lors de la révolution des sociétés industrielles. Certains se questionnent sur la nécessité de poursuivre l’enseignement de l’écriture cursive car, de nos jours, l’écriture scripte (en lettres détachées) est omniprésente dans l’emploi des outils numériques. L’écriture cursive est-elle devenue un art du passé ou les bienfaits de cette modalité d’écriture ont de réels impacts sur l’apprentissage de l’écrit au point qu’elle doit être imprescriptible dans l’éducation des enfants? Avant d’aborder les avantages du cursif il faut, tout d’abord, savoir quand le script a fait son apparition dans l’histoire de l’humanité et comprendre les raisons ayant conduites à son intégration dans les systèmes scolaires. Ensuite, nous pourrons examiner la complexité de devenir un scripteur efficace et analyser si le choix de l’enseignement d’un style d’écriture aura une incidence sur les apprentissages des enfants dans la compétence de l’écrit. 

 

Edward Johnston a changé le cours de l’histoire 

Datant de plusieurs siècles, l’écriture cursive est née de l’Égypte ancienne et a fait son apparition en Occident au XIVe siècle. C’est l’outil d’écriture par excellence et prôné pour ses caractéristiques : rapide, lie les lettres les unes aux autres et représente la continuité de la pensée. Beaucoup plus récente dans l’histoire de l’humanité, l’écriture scripte a été créée en 1916 par Edward Johnston, calligraphe et typographe britannique. La police de caractères Sans-sérif, qu’on utilise à bon escient dans notre monde actuel, a été conçue par cet homme pour les transports publics londoniens à l’époque. En 1927, aidé par Johnston, Eric Gill a commercialisé un caractère sans empattements, adaptés à la composition de livres, le Gill Sans. Ce n’est qu’en 1979 que la police Johnston, appelée aujourd’hui Sans-sérif, a été redessinée pour élargir les multitudes de caractères possibles tels que les caractères gras et italiques.

 

Mais quand a-t-on-introduit l’enseignement du script? La réponse varie dans tous les pays du monde. La France, 40 ans en avance sur le Québec a intégré le script pour ses caractères similaires à la forme des caractères imprimés dans les années 30. Cependant, le script fut réservé à la lecture, puisque l’apprentissage de l’écriture s’exécutait, et se réalise encore aujourd’hui, exclusivement en cursif. Au Québec, c’est en 1970 que le script est incorporé dans l’enseignement de l’écrit, car une croyance soutenait que les enfants, qui apprenaient cette forme d’écriture, auraient plus de facilité en lecture. Or, une étude de l’université de Sherbrooke, publiée dans les nouveaux cahiers de la recherche en éducation, a révélé que cette hypothèse était fausse. Que l’enfant ait appris l’écriture cursive ou scripte, il obtiendra des résultats similaires en lecture. Cette étude sherbrookoise est en concordance avec les études d’imageries cérébrales dans lesquelles il a été présenté que des zones similaires du cerveau s’activent pendant la lecture et l’écriture, peu importe la forme des lettres apprises.

 

L’automatisation du geste graphique

Écrire est plus complexe que se limiter à la formation des lettres en cursif ou en script, c’est-à-dire aux apprentissages du geste d’écrire, à la graphomotricité. Quatre opérations sont impliquées en écriture :

  1. Conceptualiser (planifier et organiser ses idées afin de répondre à une intention, tout en tenant compte à qui l’on s’adresse) 
  1. Énoncer (développer ses idées dans un discours en faisant des choix syntaxiques et lexicaux) 
  1. Encoder (mettre en forme ce discours en respectant des normes linguistiques, en particulier l’orthographe lexicale et grammaticale) 
  1. Matérialiser (le geste d’écrire) 

 

La graphomotricité consiste au dernier point et conditionne les trois autres. Donc, si un enfant passe beaucoup de temps à se concentrer sur la formation des lettres, sur le geste graphomoteur, il perdra du temps dans la planification et le développement de ses idées, la vérification de l’orthographe de ses mots, la conjugaison de ses verbes, etc. D’où la nécessité d’automatiser le geste graphique. Cette automatisation se fera avec le temps si l’enfant conserve le même style d’écriture. Les recherches ont montré que le double enseignement est néfaste à la graphomotricité. Apprendre l’écriture scripte, suivie de l’écriture cursive, cause une charge cognitive supplémentaire à l’enfant. Subséquemment, la progression des autres apprentissages à consolider pour devenir un scripteur efficace et rapide se voit stabiliser. Vaut mieux choisir un mode d’écriture et le conserver tout au long du cursus scolaire afin d’augmenter la rapidité à automatiser le geste graphique.

 

Art du passé ou art imprescriptible

Choisir l’écriture cursive, ce n’est pas que préserver un art du passé. Les avantages à apprendre cette forme d’écriture sont réels et considérables. Commençons par établir une distinction fondamentale : la forme et le mouvement. Le script repose sur la reproduction de la forme, donc les espaces entre les lettres et les mots sont presque équivalentes. Tandis qu’en cursif, il importe de maitriser le mouvement. Par conséquent, apprendre l’écriture cursive favorise une bonne gestion des espaces interlettres, intermots et entre les zones médiane, supérieure et inférieure. Par ailleurs, comme il y a l’obligation de suivre un chemin déterminé pour produire les lettres cursives, cela a pour effet d’aider les enfants à distinguer certaines lettres miroirs et d’atténuer cette problématique dans l’apprentissage de la formation des lettres. Les lettres sont dites « miroirs » lorsqu’il y a inversion de traits : b/d, p/q, u/n, etc. 

 

Écrire en cursif contribue également à l’apprentissage de la lecture, étant donné que les enfants doivent relire le mot écrit pour ajouter l’accentuation (ajouter un point sur le i, un accent grave sur le e, une barre sur le t, etc.) avant d’écrire le mot suivant. Ainsi, le mot est mis de l’avant plutôt que la lettre, ce qui permet de mieux comprendre le mot dans sa globalité. En plus de faciliter la lecture, cela a une incidence sur la progression des habiletés orthographiques et syntaxiques, davantage marquée chez les enfants écrivant en cursif que les enfants utilisant l’écriture scripte ou scripte-cursive. 

 

La fluidité et la rapidité d’exécution sont augmentées dans l’écriture cursive, ce qui lui confère un avantage primordiale pour la prise de notes, notamment dans les études post-secondaires (collégiennes, lycéennes ou universitaires). En effet, la cursive consiste à enchainer un maximum de lettres dans un mot. La levée du crayon dans un mot se fait uniquement pour tracer les lettres rondes. 

 

Sur le plan symbolique, la liaison entre les lettres représente la relation à l’autre comme une main tendue vers autrui, tandis que l’écriture scripte symbolise l’individualisme. L’écriture cursive, longtemps considérée comme la continuité de la pensée, influence ainsi le développement intellectuel, relationnel, kinesthésique, de même que la confiance en soi et l’estime personnel. 

 

En tenant compte des bienfaits de l’écriture cursive, cet enseignement devient imprescriptible dans l’éducation des enfants. En outre, en décidant de ne plus enseigner le cursif, mode d’écriture datant de plusieurs siècles, cela a pour conséquence d’handicaper les enfants en faisant abstraction du savoir des sociétés précédentes. Il ne s’agit pas ici d’une présomption, mais d’un fait. Une professeure universitaire aux États-Unis a constaté que le 2/3 de ses étudiants en histoire n’arrivaient pas à déchiffrer les textes du passé, ce qui est une aberration pour des étudiants dans ce domaine. Ses étudiants ne prenaient pas non plus en considération ses annotations dans leurs travaux corrigés, incapables de les lire. Pourtant, l’UNESCO avait pour objectif d’éliminer l’analphabétisation d’ici l’an 2000. Sans compter que depuis 1946, il « œuvre à la réalisation d’une vision de l’alphabétisation pour tous basée sur la conviction que l’acquisition et l’amélioration des compétences en littératie tout au long de la vie font partie intégrante du droit à l’éducation et procurent une grande émancipation et d’immenses bénéfices »[1].

 

En somme, l’écriture cursive n’est pas démodée, mais sous-estimée. Il est impératif que les enfants possèdent un minimum de base de connaissances en cursif  leur permettant de déchiffrer des écrits en toutes circonstances. Il est d’autant plus bénéfique, sur plusieurs aspects mentionnés précédemment, si les enfants écrivent en cursif durant tout leur cheminement scolaire. Échanger avec des personnes âgées par écrit, lire des textes ou des livres où l’on retrouve de la cursive et, encore mieux, apprendre l’écriture cursive dès le début de sa scolarité, sont des moyens pour développer ses compétences efficacement dans le monde de l’écrit. De plus, apprendre à écrire de manière lisible et fluide aide à s’exprimer avec confiance et empêche d’être dépourvu de nos moyens lorsqu’une panne de courant survient et qu’aucun appareil numérique ne puisse être fonctionnel!

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[1] UNESCO, https://www.unesco.org/fr/literacy

Note : Ce texte utilise la nouvelle orthographe.

 


Idées de livres en cursif 

Mes premières lectures Montessori (une collection de livres offrant divers sujets avec des niveaux de lecture graduées, police d’écriture française)

Benjamin se promène la nuit (découvrez les aventures nocturnes d’un garçon somnambule, écrit par Andréa Girard, police d’écriture québécoise)

Rosalie attrape sa colère (suivez le cheminement d’une petite fille qui veut gérer sa colère, écrit par Andréa Girard, police d’écriture québécoise)

 

Bibliographie :

Augustin (2014). Edward Johnston, Index Grafix, réf. 24 aout 2023, http://indexgrafik.fr/edward-johnston/

Dumont, Sara (2022). États-Unis: certains étudiants en histoire ne connaissent pas l’écriture cursive, La Première, réf. 24 aout 2023, https://www.rtbf.be/article/etats-unis-certains-etudiants-en-histoire-ne-connaissent-pas-lecriture-cursive-11129805

Lorillon, Aurélie (2019). Écriture scripte vs cursive, réf. 24 aout 2023, https://www.dysgraphie-oise.fr/ecriture-scripte-vs-ecriture-cursive/

Montésinos-Gelet, Isabelle (2015). Enseigner l'écriture manuscrite: Pourquoi choisir la cursive? Comment différencier de manière à soutenir efficacement tous les élèves? réf. 24 aout 2023, https://diffusion-didactique.scedu.umontreal.ca/docs/26.pdf

Pettinati, Graziella. Le plaisir de bien écrire. Document reçu dans le cadre d'une formation universitaire avec Mme Pettinati, 49 p.

Roessingh, Hetty (2019). Voici pourquoi il faut réintroduire l’écriture cursive à l’école, Le Soleil, réf. 24 aout 2023,  https://www.lesoleil.com/2019/09/01/voici-pourquoi-il-faut-reintroduire-lecriture-cursive-a-lecole-38d5734d56aee298146c45f9bc45d574/

UNESCO, réf. 24 août 2023, https://www.unesco.org/fr/literacy

Villegas-Kerlinger, Michèle, Écriture cursive ou scripte, telle est la question! L’express, réf. 24 aout 2023, https://l-express.ca/ecriture-cursive-ou-ecriture-scripte-telle-est-la-question/